POLLUTION LUMINEUSE !
" Fiat lux et facta est lux ! "
Chère lectrice, cher lecteur d'ARTHROPOMANIA BOTANICA,
Fiat lux et facta est lux est une locution latine présente au début de la Genèse. Il s'agirait de la première parole du Dieu des chrétiens, ordre donné lorsqu'il a créé la lumière le premier jour de la création du monde. Elle est traduisible en français par « que la lumière soit et la lumière fut ».
Mais ce que ne dit pas cette maxime, qui va sortir de son contexte religieux et connaître un grand succès à partir du XVIIIe - dit « siècle des Lumières », ça ne s’invente pas ! - en évoquant une invention ou une découverte, c’est qu’en créant le jour, ce bon Dieu frustrateur inventa la nuit !
C’est ainsi que durant des millénaires, Homo Sapiens a connu la peur du noir, obligé dès le paléolithique d’allumer de grands feux pour se tenir au chaud, avoir un peu de lumière la nuit et tenir éloignés d’éventuels prédateurs… Plus tard, les grands ports durent s’organiser pour maintenir des feux permanents afin d’aider les navires à circuler dans les ténèbres. Ce fut le fameux phare d’Alexandrie ! Puis, Thomas Edison élabora la lampe électrique à incandescence en 1878 et sa géniale invention, sous forme d’éclairages public et privé, se répandit dans le monde entier comme un éclair… Villes, villages, appartements, bureaux, magasins, ruelles, jardins publics, enseignes publicitaires … la lumière électrique s’imposa partout !
Bien sûr, il s’agissait là d’une situation inédite dans l’histoire de l’humanité. Cette extraordinaire conquête technique allait révolutionner les modes de vie : désormais la nuit appartenait à l’Homme ! Et quelle fabuleuse revanche sur Dieu et les peurs du passé !
Pourtant, le moment est venu de faire le point sur cette avancée. Et il est peut-être temps d’adopter une attitude plus sage vis-à-vis de l’éclairage nocturne à outrance… En effet, s’il est un sujet tabou dont on parle peu, c'est bien la pollution lumineuse ! C’est à tort, car en réalité ces lumières incessantes ont un effet nocif sur le monde vivant, à commencer par l’espèce humaine. Sans exagération, on peut hélas parler d’une véritable catastrophe !
~~~ Photo satellitaire montrant la pollution lumineuse ~~~
Sais-tu amie lectrice, ami lecteur que, par exemple, plus de 4 personnes sur 5 dans le monde vivent sous un ciel pollué par des lumières artificielles ? Comprends bien que cela veut dire qu’il fait jour 24h sur 24 autour d’elles. Peut-être est-ce le cas pour toi également ? Ta rue est-elle éclairée toute la nuit ? Ton bureau reste-t-il allumé en permanence pour permettre une rotation du travail ? Si tel est le cas, ta santé est menacée car l’exposition à la lumière, la nuit, joue indéniablement sur ton horloge biologique. S’en suivront inévitablement de nombreux troubles potentiels dont le plus visible restera le mauvais sommeil malgré la prise de somnifères, suivi de troubles compréhensibles de la concentration, voire à long terme d’épisodes dépressifs et tout un panel de pathologies diverses et variées…
Et les êtres humains ne sont pas les seuls concernés ! Toute la nature est programmée pour une alternance entre le jour et la nuit. Mais ni les animaux, ni les plantes ne dorment dans une chambre dont ils peuvent éteindre la lumière ! Pendant des siècles, les végétaux ont pu “dormir” la nuit, c’est-à-dire fonctionner au ralenti pour se régénérer. Et même si la lumière des villes ou des réverbères d’autoroute n’est pas aussi intense que celle du soleil, elle perturbe nécessairement le temps de repos des plantes, et donc leur vitalité. Des chercheurs de l’Université d’Exeter (dans le comté de Devon, dans le Sud-Ouest de l'Angleterre) ont mené de longues expérimentations qui ont prouvé que la pollution lumineuse épuisait les végétaux à petit feu…
Implosion imaginaire d'un arbre soumis à une pression lumineuse externe
supérieure à sa résistance mécanique !
Tous les êtres vivants fonctionnent par cycles et la lumière du jour est l’un des grands régulateurs de ces cycles. En imposant aux plantes et aux animaux de tous genres un voile lumineux artificiel la nuit, les hommes perturbent ces équilibres et malmènent l’ensemble de la biodiversité. Et les résultats commencent à être mesurés par les scientifiques. Les conséquences sont multiples sur la nature :
- les pollinisateurs nocturnes, la plupart des insectes, ne pollinisent plus aussi bien,
- les cycles de reproduction sont perturbés,
- les oiseaux migrateurs sont désorientés,
- les bébés tortues, qui devraient plonger dans la mer éclairée par la lune, filent vers les villes illuminées qui les attirent, se perdent et meurent par milliers,
- les prédateurs, qui se servent de la lumière pour chasser, sont déboussolés…
Certains scientifiques affirment que l’arrivée de la lumière la nuit a été
l’une des charges les plus violentes d’Homo Sapiens sur la nature !
Cliquer pour agrandir !
Pour terminer cet article, je voudrais traiter ici d’un cas précis où la pollution lumineuse nocturne limite aujourd’hui fortement la reproduction d’un petit insecte en entrant directement en concurrence avec ses rituels d’attirance d’une potentielle partenaire. Cet insecte, tu l’as deviné, est la luciole (Luciola lusitanica) dont le mâle, au vol crépusculaire, émet de brefs mais intenses flashes lumineux. La femelle, dissimulée dans les broussailles, répond également par des signaux nitescents lorsqu’un mâle vient à passer au-dessus d’elle…
Mâle (Luciola lusitanica) " flashant " en plein vol - Cliquer pour agrandir
Ami(e) d’ARTHROPOMANIA, si tu as déjà croisé un petit insecte luisant un soir d’été dans ton jardin ou lors d'une balade, tu es chanceu.se.x. Car si les lucioles émerveillent les amateurs de leur lumière jaune-verte en Asie, elles se font plutôt discrètes en Europe. Selon une étude mondiale conduite auprès des spécialistes de cet insecte fascinant, 3 causes pèsent lourdement sur leur population. Mauvaise nouvelle, elles sont toutes dues aux activités humaines !
Pour les experts interrogés, la réduction de leurs proies et de leur habitat est la menace la plus inquiétante.
La pollution lumineuse arrive sur la deuxième marche du podium. Cela peut paraître étonnant, mais selon l'auteur de l'étude, Sara Lewys, professeur de biologie à l'Université Tufts (basée aux États-Unis mais qui possède également un campus en France) : « Le flash lumineux est un élément important de leur parade nuptiale ». Toute pollution lumineuse qui empêche le flash lumineux d'être vu par les autres lucioles est donc un frein à leur reproduction. Pour information, il faut 5000 lucioles environ pour produire une lumière équivalente à celle d’une bougie. On comprend alors facilement pourquoi et comment l’éclairage artificiel perturbe les lucioles comme d’ailleurs il handicape, de diverses manières, de nombreuses autres espèces d’insectes nocturnes. Par ailleurs, certains individus sont également attirés et " piégés " par des réverbères à LED* fortement lumineuses, émettant dans certaines longueurs d'onde.
*LED = en anglais Light-Emitting Diode ou en français DEL = Diode ElectroLuminescente
Enfin, la troisième menace détectée par les experts est l'utilisation d'insecticides. Ces insectes passent la majorité de leur vie sur le sol. Bien que pourvues d'ailes, les lucioles, surtout femelles, ne volent pas beaucoup. Les insecticides tuent également les larves enfouies dans le sol. Par conséquent, si rien ne change, observer des lucioles en Europe relèvera bientôt du miracle !
Je conclurai en présumant qu’une présence importante de lucioles semble pouvoir être considérée comme l’un des bio-indicateurs de bon état de naturalité de l'environnement nocturne. Autrefois des groupes de milliers de lucioles pouvaient être aperçus sur et autour d'un arbre, aux abords d'un ruisseau… C'est un phénomène devenu très rare hormis dans des lieux éloignés de l'agriculture, des villes et dépourvus d'éclairage artificiel !
Groupe important de lucioles volant en sous-bois !
Heureusement, en France, une loi passée fin 2018 tient compte aujourd’hui des nuisances lumineuses, y compris l’aspect financier d’une dépense énergétique considérable s’y afférant et le surplus de CO2 relâché dans l’atmosphère. Pour les limiter, le législateur a :
- restreint l’éclairage la nuit dans les jardins, dans les parcs, sur les façades de monuments, dans les parkings ouverts, dans les équipements sportifs, dans les espaces naturels protégés,
- limité les types d’éclairages autorisés.
Pour autant, je pense que ces mesures pour nécessaires qu’elles soient, sont loin de répondre au défi de la pollution lumineuse. D’autres efforts pourraient être consentis. Je verrais volontiers :
- une extinction de l’éclairage public quasi-totale entre 1h et 4h du matin,
- des systèmes d’éclairage intelligents se déclenchant lorsque quelqu’un est présent,
- des faisceaux de lumière systématiquement orientés vers le sol,
- davantage de réflecteurs de lumière, éclairés par les phares,
- des lampes à vapeur de sodium plutôt que des lampes à vapeur de mercure,
- une meilleure gestion des lumières des locaux professionnels…
Ce ne sont là que quelques idées… Mais toi, quelles seraient tes propositions pour faire cesser la pollution lumineuse nocturne, diminuer le gaspillage énergétique que cet éclairage sans ombre implique et, surtout, éviter l’extinction de milliers d’espèces d’insectes (pour ne citer qu’eux) dans le monde ?
Merci d'écrire tes suggestions, tes remarques argumentées
dans la rubrique " COMMENTAIRES "
d'ARTHROPOMANIA BOTANICA FONGICA.
Par avance, sois-en remercié(e) ! ! !
Inachos