GALATHEE LE TRISTOUNET !
Bien le bonjour, mélancolique ami(e) !
Melanargia galathea butinant une centaurée
On m'appelle tristement le Demi-deuil et crois-moi, j'en suis bien affligé ! Il est vrai que je suis, à plus d'un titre, une curiosité au sein de la grande famille des Nymphalidés !
Pourquoi ?
Mais tout simplement parce que je suis le seul d'entre eux qui n'arbore pas de jolies couleurs ! Pour tout dire, je ne suis qu'un vulgaire papillon noir et blanc avec, parfois, quelques reflets marron selon l'angle des rayons lumineux qui m'éclairent...
C'est un comble, tout de même, de m'obliger à porter cette sombre livrée, moi le papillon thermophile - j'ai besoin d'une température élevée pour voler - qui n'aime que les journées ensoleillées ! ! !
Oui ! tu l'auras deviné, mon nom est lié aux coutumes vestimentaires des siècles passés lorsqu'une famille perdait un proche. Après la sévère période du " grand deuil ", pendant laquelle les veuves éplorées s'habillaient exclusivement en noir, venait ensuite celle du " demi-deuil " où les conventions d'alors permettaient, par exemple, le port de robes grises à pois blancs...
1893 1865
Portrait de deux jeunes filles La duchesse de Morny
en robes demi-deuil lors des en grand deuil après
obsèques de leur jeune soeur le décès de son époux
Fort heureusement, je porte également un autre nom bien moins triste qui me séduit davantage : l'échiquier commun. Certes, les cases noires et blanches de mes ailes ne sont pas d'une alternance aussi précise ni d'une forme aussi géométrique que le plateau d'un jeu d'échecs, mais, vois-tu, un peu d'imagination n'a jamais fait de mal à personne !
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Maintenant, si tu le veux bien, concentrons-nous sur le revers de mes ailes postérieures. Vois-tu cette ligne irrégulière de petits ocelles, de " faux yeux " ?
Eh bien, mon ami(e) lépidoptériste, comme je suis l'unique version incolore chez les Nymphalidés, je possède un système de défense qui m'est propre ! Je t'explique...
Les oiseaux, principaux ennemis des papillons, cherchent toujours à attaquer notre tête, se repérant pour atteindre leur cible à nos yeux. Mes petits ocelles sont des leurres, une illusion destinée à détourner le regard du prédateur vers ces parties non vitales que sont mes ailes. Parfois, tu t'en doutes, ces dernières sont un peu déchirées par un violent coup de bec... Mais, je te pose cette question existentielle :
" Ne vaut-il pas mieux être môche que mort ? "
D'autres Nymphalidés, nous le disions, fort colorés, ont un tout autre système défensif ! Tiens, prenons par exemple le cas du Paon-du-jour. Tu le connais, non ? Bon ! en passant, je vais te révéler un secret... Inachos s'est servi du nom scientifique de ce papillon ( Inachis io ) pour créer son pseudonyme. Tu ne le savais pas ? Mais, chut, ne le répète pas, je compte sur ta discrétion !
Le Paon-du-jour, dont le revers des ailes est brun, se glisse au sein des feuilles mortes pour se rendre invisible. Mais, s'il est troublé par un importun tel qu'un oiseau, il expose rapidement ses ocelles de grande dimension. Cette démonstration brutale de l'éclat de ces grands yeux, accompagnée du sifflement des ailes s'ouvrant à grande vitesse, effraie et repousse généralement l'agresseur. Certains lépidoptéristes affirment même que les ailes antérieures ouvertes de mon cousin Inachis io évoqueraient mimétiquement un regard de chat, ce qui, conviens-en, a de quoi perturber le plus téméraire des piafs !
Maintenant, " Hombre ", souhaites-tu que je te parle de la meilleure façon de courtiser les filles ?
Je savais bien que cela t'intéresserait... En effet, j'ai un comportement bien différent des autres rhopalocères mâles ( papillons de jour ) qui ont pour habitude de guetter le passage des femelles depuis un perchoir. Moi, je recherche activement en vol rasant les jeunettes qui viennent d'émerger parmi les poacées ( graminées ). Je ne sais pas ce que tu en penses, mais tout de même, les partenaires fraîchement écloses sont bien plus affriolantes que les nanas plus âgées ! ! !
Par ailleurs, ma femelle, elle aussi, a un comportement fort singulier : figure-toi qu'elle se prend pour un bombardier ! Elle pond ses oeufs un à un en plein vol ou parfois les lâche d'un perchoir. Oui, mais attention, pas n'importe où ! Elle prend pour cible les graminées dont les chenilles se nourriront exclusivement : la Palène ( Brachypodium pinnatum ), le Brome dressé ( Bromus erectus ) ou encore le Pâturin des prés ( Poa pratensis )...
En résumé, si tu veux m'observer,
je te donne rendez-vous de la mi-juin à la fin août
car je suis une espèce monovoltine : une seule génération par an !
Les oeufs, pondus fin août, éclosent en 3 semaines,
les chenilles grignotent quelques graminées
avant de chercher un abri pour l'hivernage...
Elles reprendront leur activité au printemps
et se nymphoseront fin mai.
De chaque chrysalide émergera
un bel échiquier,
avide de soleil et de lumière,
qui butinera goulûment les centaurées, les scabieuses
et les chardons dans les lieux herbus...